Ce jeudi 7 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais a jugé plusieurs articles du Traité sur l’UE (TUE) incompatibles avec la Constitution polonaise. Il s’agit de la première fois qu’un Etat membre de l’Union européenne va à l’encontre du droit de l’UE et de sa primauté.
La décision historique du Tribunal constitutionnel polonais
Dans sa décision du 7 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais a jugé incompatibles trois dispositions du TUE avec la Constitution polonaise :
- Art.1er du TUE → Consacre l’Union européenne
- Art.4, paragraphe 3 du TUE → Les Etats membres assurent l’exécution des traités et des actes de l’UE
- Art.19, paragraphe 1er du TUE → Les Etats membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridique effective dans les domaines couverts par le droit de l’UE
Le Tribunal constitutionnel a posé que ces dispositions allaient à l’encontre de la souveraineté de la Pologne. Il a aussi jugé que l’Union européenne opère « en dehors des compétences transférées par la Pologne ».
Il s’agit de la première décision d’un Etat membre jugeant la compétence de l’Union européenne. La Pologne va donc ici à l’encontre de la primauté du droit de l’UE et de sa jurisprudence.
Une situation inédite
Cette situation constitue un test inédit et important pour les instances de l’Union. En effet, face à cet acte de défiance de la Pologne, d’autres Etats membres peuvent être tentés de suivre le même chemin.
La portée de la décision polonaise est contraire aux arrêts cardinaux Van Gend en Loos et Costa c/ Enel rendus par la Cour de justice de l’UE:
- Van Gend en Loos → Effet direct du droit de l’UE, 5 février 1963, CJCE (+ article 288 TFUE)
- Costa c/ Enel → Primauté du droit de l’UE sur le droit interne, 15 février 1964, CJCE
La Pologne remet donc en cause un élément majeur de son lien à l’Union en refusant de faire primer le droit de l’UE sur le droit interne.
Certains vont jusqu’à spéculer sur une éventuelle sortie de l’Union européenne pour la Pologne. Hypothèse actuellement écartée par les dirigeants polonais.
En effet, la Pologne bénéficie de fonds alloués par l’UE. Quitter l’Union mettrait fin à l’apport de milliards d’euros au pays.
Un message politique
Avec ce refus d’appliquer le droit de l’Union, la Pologne affiche à nouveau sa volonté de s’éloigner de l’acquis communautaire. Elle justifie ses actions par le souhait de « préserver » sa souveraineté.
Ces tensions constituent le nouvel épisode d’une période de crispation entre l’Union européenne et l’alliance Pologne/Hongrie.
En effet, en juin dernier, une nouvelle procédure de sanction pour violation des valeurs de l’UE avait été envisagé par la Commission à l’encontre de la Hongrie. Celle-ci avait présenté un projet de loi hostile à la communauté LGBT et allant à l’encontre des libertés fondamentales.
La Pologne, de son côté, s’était attirée les foudres de la Commission en 2015 en raison d’une loi compromettant sérieusement l’indépendance de la justice et l’Etat de droit. La loi en question permettait au pouvoir exécutif d’avoir une mainmise sur les décisions du Tribunal constitutionnel.
Des conséquences juridiques
En vertu de la procédure prévue à l’article 258 du TFUE, l’UE peut remédier à cette situation en mettant en œuvre un recours en manquement. Celui-ci a pour objectif de contraindre l’Etat fautif à appliquer le droit de l’Union européenne. La Pologne s’expose donc à des sanctions telles que le paiement d’une somme forfaitaire ou une astreinte.
Cependant, ce type de sanction ne fait pas obstacle aux violations répétées. Il n’existe donc pas à ce jour de moyen pour l’UE de lutter efficacement contre les politiques hostiles à ses valeurs et à son droit.
Ce type de situation politique est alors appelé à se reproduire à l’avenir. Le risque étant que cela inspire d’autres juridictions nationales à déclarer le droit de l’UE inapplicable.